Poser un acte libre

A la question : que désire tout homme dans la vie ? La réponse arrive relativement facilement : c’est le bonheur.

Il y a aujourd’hui deux types de logique de vie : la logique du plaisir et la logique du bonheur.

Si je mange un morceau de chocolat, le premier désir qui me vient, c’est d’en manger un autre. Le propre de la recherche du plaisir, c’est qu’elle ne comble pas mon vide existentiel intérieur. Je suis alors dans une logique de « toujours plus ». Je risque de rentrer dans une forme de compulsion qui peut m’amener à l’addiction : alcool, drogue, sexe, jeux video….

Dans le bonheur, il peut y avoir du plaisir, mais ce n’est pas la finalité.

La question suivante consiste donc à se demander comment je me mets sur le chemin du bonheur. La réponse met plus de temps à venir. Quel dynamisme de vie sous-tend ce grand appel vers le bonheur ? Je peux y donner une réponse peu originale : l’argent, la réussite, un bon métier …Je peux être attentif à respecter les belles valeurs qui sont dans la personne humaine : l’honnêteté, le respect des autres, le respect de la justice ….

La réponse qu’il me semble la plus appropriée consiste à « donner le meilleur de moi-même ».

Par exemple, lorsque je vais rendre discrètement service à un proche au lieu de rechercher mon propre plaisir, il y a quelque chose qui comble mon cœur (paix, joie …).

Quand j’ai donné le meilleur de moi moi même, si je réussis, je suis heureux d’y être arrivé; si j’échoue, je peux voir ce que je peux améliorer ou comprendre que j’ai pris une mauvaise direction, sans culpabilité, dans la vérité de moi même.-

 « Homme, le Seigneur t’a fait savoir ce qui est bien, ce qu’il réclame de toi : rien d’autre que pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec ton Dieu ». Michée, 6, 1-8

Cependant je dois d’abord remarquer que je suis un être de dépendance. Croire que je peux vivre complètement indépendant est un vrai délire intérieur : je dépends de l’air que je respire, des artisans qui ont construit ma maison, du tisserand qui a tissé mon vêtement, de l’amour de mes parents …

Ainsi, si mes actes sont au service d’un bien supérieur, je grandis en liberté,  sinon je deviens esclave de mes passions.

Pour cela je dois découvrir quels sont les biens supérieurs : réussir ma vie, l’amour de mes parents, le respect … voire Dieu pour le croyant.

Alors me direz-vous ? Chacun peut choisir son système de valeur ! Et bien non, ce relativisme enferme dans un narcissisme ou une forme de communautarisme qui n’aide pas à poser des actes vraiment libres. Il y a un bien supérieur que je dois respecter en premier : c’est mon devoir d’état.

Si je suis parent, je dois respecter mon devoir d’état de parent. Si je suis professeur, je dois respecter mon devoir d’état de professeur. Si je suis enfant, je dois respecter mon devoir d’état d’enfant. Si je suis élève, je dois respecter mon devoir d’état d’élève.

Prenons une métaphore : si je monte dans le métro à l’heure de pointe, lorsque celui-ci démarre, spontanément je fais un geste. Je m’accroche à la barre centrale pour ne pas tomber, sinon je risque de tomber, de me blesser et de blesser les autres. La barre du métro, c’est mon devoir d’état. C’est ce qui est premier dans ma vie. Mes loisirs, mes activités sont seconds, ils viennent après.

Rappelons-nous qu’il y a ce qui est essentiel, ce qui est important, ce qui n’est pas fondamental et ce qui est sans valeur en soi.

Petites et grandes déviances

J’aimerais vous partager quelques événements, quelques rencontres qui font que, tout à coup, on prend conscience que le monde change, qu’il a changé, parfois de manière subtile.

De plus en plus de jeunes expérimentent des sorties tardives particulièrement le week-end. Qu’est-ce qui fait que des parents acceptent que leur enfant dès 14 ans, voire plus jeune, se retrouve en soirée avec des copains sans présence d’adultes pour gérer ce qui va s’y passer. Toutes les expériences attirantes restent suspendues au dessus de la tête de nos chérubins qui viennent s’y coller comme des mouches sur des rouleaux collants dans les vieilles cuisines de d’antan. Faire confiance ne consiste-t-il qu’à laisser faire n’importe quoi à nos enfants ? Est-ce vraiment de l’éducation ?

Un élément est venu également parasiter le vécu et les relations de nos jeunes bambins. Très tôt les voilà en train de «tripoter» fébrilement leur smartphone. C’est devenu une véritable addiction qui demande d’être consultée toutes les 30 secondes au cas où on raterait une information essentielle à la vie. Supprimer pour quelques temps leur nounours téléphonique devient un crime de lèse majesté et peut provoquer un comportement hystérique incontrôlable. Mais ce qui interroge l’éducateur, c’est la facilité avec laquelle les jeunes obtiennent de leurs parents un abonnement internet sur ces appareils qui les met en contact avec n’importe quelle information que la perversion de notre monde sait produire !

Il semble également qu’une activité préférée d’un certain nombre de jeunes consiste à surfer en continu sur le mensonge. Plus le mensonge est gros et plus leur consternation d’être suspectés de mentir est grande. Il y a quelques années, certaines «racailles» vous regardaient droit dans les yeux et juraient leurs grands dieux que jamais ils n’auraient pu faire quelque chose de travers. J’en ai même vu certains jurer sur la tête de leur mère en plein mensonge. Aujourd’hui cette attitude se retrouve chez le premier ado venu ! Ils peuvent même vous expliquer avec leur «logique» implacable que c’est normal.

Afin d’améliorer peut-être le confort ou la possibilité de mieux travailler avec les outils modernes, certaines familles acceptent que leurs enfants aient une télévision et/ou un ordinateur dans leur chambre. Par quel tour de magie un jeune adolescent va-t-il pouvoir limiter spontanément les sites internet qu’il va être tenté de visiter ? Avec quelle volonté endurcie va-t-il pouvoir se limiter le soir dans le visionnage de films et de séries sans en développer un manque de sommeil chronique ? Comment organisera-t-il sa pratique des jeux vidéo en ligne sans accentuer des addictions déstructurantes de la personnalité ?

Il m’arrive d’avoir des échanges complètement «satellisés» avec certains jeunes en rendez-vous d’inscription. Il veulent parfois me démontrer que la drogue à petite dose n’a rien de malsain, qu’ils peuvent s’arrêter quand ils le veulent, que c’est normal de «s’éclater « quand on est jeune. Ils voudraient même me faire croire que, ne m’étant jamais saoûlé, je ne sais pas ce que je perds ! Dans une apothéose d’inconscience, ils m’affirment que ça leur permet de faire et de dire des choses qu’ils n’auraient jamais osé faire sinon ! Le problème n’est-il pas là ? La joie, la danse, le partage et l’amitié ont-ils besoin d’être formatés par des plaisirs artificiels qui dénaturent la personne humaine ?

Un des premiers exercices spirituels de Saint-Ignace est d’apprendre à faire silence : véritable porte d’entrée à l’intériorité. En voiture, dans le métro, dans le bus, sur la cour de récréation, pour s’endormir le soir … les musiques des casques vissés sur les oreilles envahissent le conscient (et l’inconscient) de nos adolescents. Accepter que notre pensée ne soit pas téléguidée ou anesthésiée par n’importe quoi devient un véritable travail herculéen. Est-ce une peur d’être confronté à sa réalité d’homme et de femme, un refus de réfléchir au sens de la vie ou une lâcheté devant nos pauvretés et devant le combat que nous devons mener pour devenir un être vertébré et autonome ?

Toc ! Toc ! Toc ! Entrez ! Alors que je suis concentré sur un problème épineux, le jeune démarre sur les chapeaux de roue pour m’entretenir de son problème et il doit penser que je n’attendais que lui dans mon bureau. Pas question d’attendre sagement que l’adulte lui donne la parole. Si je pose une question en classe et que j’ai le malheur de ne pas laisser n’importe quelle intervention verbale fuser dans la classe, le jeune risque de se renfermer sur lui-même voire de m’agresser pour mon manque de professionnalisme. Attendre leur tour à la cantine, à la sortie … devient pour eux «une torture» insoutenable ! Tout, tout de suite devient le prêt-à-porter comportemental de nos enfants. Nous, parents, comment avons-nous aidé nos enfants à gérer leur «frustrations» ?

Dring! Dring ! C’est le téléphone d’une demoiselle qui a été confisqué parce qu’elle s’en servait en classe. En voulant l’éteindre un avertissement clignotant annonce qu’il est l’heure de prendre la pilule. Eh oui ! à 16 ans la demoiselle a déjà une «vie sexuelle». Combien de jeunes filles sont venues nous voir en pleurant pour nous partager qu’un soir, dans une fête, elles ont perdu leur virginité alors qu’elle s’étaient promis d’attendre leur véritable amour de leur vie ! Combien ont avoué qu’elles ne croyaient plus à l’amour car elle s’étaient données entièrement à celui en qui elles croyaient et qui les a laissées tomber ! Toutes les expériences sexuelles précoces sont-elles réellement une préparation à la vie de couple ? Comment accompagner toutes ces blessures du cœur qui ont abimées tous ces jeunes ? Nous parents ne devons-nous pas donner un témoignage de fidélité, de la beauté de l’amour ?

 

«Monsieur, il faut que vous fassiez quelque chose : j’ai laissé mon sac sur le banc et on m’a volé ma calculatrice !» Le vol semble devenir un sport national. Quand on demande à un jeune s’il regrette ce qu’il a fait, il peux vous répondre qu’il regrette de s’être laisser prendre. Rares sont ceux qui spontanément réalise que le vol est un mal. Il peut aussi vous répondre que, de toute façon, les Grands Magasins ont déjà prévu dans leur comptabilité les pertes dues aux vols ! Certains pensent même que c’est bien fait pour celui qui s’est fait voler, il n’avait qu’à faire attention ! Dans quel système de valeurs élevons-nous nos enfants ?

Etes-vous ces adultes qui affirment ?
Boire un petit coup de temps en temps : ça n’a jamais fait de mal à personne !
Fumer un joint en soirée : il faut bien que jeunesse se passe  !
Faire sa première expérience sexuelle : il faut bien un début à tout !
Jouer aux jeux video à longueur de temps : ça leur permet de déstresser !
Claquer la porte en injuriant ses parents : le pauvre, il souffre, c’est son adolescence !

Si c’est le cas bon courage !

Sinon, bienheureux êtes-vous si vos enfants viennent se heurter devant votre détermination à les aider à faire des choix qui les font grandir : ce n’est pas facile, mais n’est-ce pas le chemin du bonheur ?

Heureusement certains jeunes sont magnifiques : ils n’hésitent pas à donner d’eux-mêmes, ils choisissent de vivre en donnant du sens, en se respectant et en respectant les autres. Ils sont à contre-courant de ce que la pensée médiatique nous déverse à longueur de temps. Bravo à ces jeunes ! Continuez ! On est là pour vous aider.

Bernard Chabrerie